La population vaudoise devrait atteindre le million en 2040. Sa croissance est considérable. Dans un postulat, le député veveysan Jérôme Christen, s’inquiète des conséquences et les limites de la «croissance démographique». La majorité du parlement continue de se mettre dans la tête sous le sable et a refusé le texte. Mais, comme le relève « 24Heures » dans son édition du jour, il a néanmoins provoqué un débat nourri entre les tenants de la croissance et ceux qui s’inquiètent d’un espace territorial limité.
Jérôme Christen a mis ce sujet – «difficile à aborder car il titille nos idéaux» – sur la table du Grand Conseil, rapporte « 24 Heures ». Le député du groupe des libres pointe du doigt la promotion économique du Canton, qui «favorise insuffisamment les ressources humaines locales et provoque une forte poussée démographique». «Sans parler de décroître, il semble raisonnable de se demander jusqu’à quel point nous pouvons croître?» Il demande au gouvernement s’il a revu ses prévisions en la matière et s’il souhaite garder le cap.
Le gouvernement de répondra pas à cette question, car le Grand Conseil a classé le texte par 90 voix contre 37 et 6 abstentions. Il a été soutenu par Les Libres, les Vert’s Libéraux, et deux tiers des Verts et des UDC, balayé par le PLR et le PS et Ensemble à gauche/POP.
Voici l’intervention de Jérôme Christen
Ce postulat résulte d’un autre texte de notre ancienne collègue Fabienne Despot qui avait échoué parce que d’aucuns considéraient qu’il se focalisait sur la politique migratoire, en particulier celles résultant du droit d’asile. Cette problématique a malheureusement biaisé cette discussion fondamentale sur l’évolution démographique. Sur conseil d’entre vous suggéré lors de ce débat de 2019, j’ai déposé un nouveau texte adapté que nous discutons aujourd’hui.
Certains sujets sont difficiles à aborder, car ils touchent des questions sensibles qui titillent nos idéaux. Mais nous devons quand même les affronter et ne pas faire la politique de l’autruche.
Notre ancien collègue socialiste Jean-Michel Favez avait d’ailleurs, par le passé, abordé ce thème de manière indirecte, en se focalisant sur les effets pervers de la promotion économique, dont il soulevait les conséquences notamment sur le logement et la mobilité. Le Conseil d’Etat avait alors exposé les mesures prises pour lutter contre la pénurie de logements et pour améliorer les transports publics, mais sans aborder la question de fond : jusqu’où peut-on admettre la croissance du canton et quelles mesures doit-on prendre pour la supporter ?
La croissance, générée principalement par la promotion économique, favorise insuffisamment les ressources humaines locales, certes limitées, mais existantes et provoque une forte poussée démographique qui a des effets pervers aussi nombreux que variés sur les plans sociaux et environnementaux. Disparition d’espaces verts, réduction des surfaces agricoles, frictions sociales croissantes pour ne citer que les principales.
Sans aller jusqu’à parler de décroître, il semble raisonnable de se demander jusqu’à quel point nous pouvons croître et de se donner les moyens de maîtriser cette croissance. Vouloir le développement durable sans se poser la question du niveau de poussée démographique, revient à foncer dans un mur.
Pouvons-nous vraiment ignorer le fait que qui dit poussée démographique, dit empreinte carbone supplémentaire ? Qui peut croire que l’efficience et la sobriété vont tout résoudre ? Qui peut affirmer que toutes les ressources naturelles dont nous avons besoin – même consommées raisonnablement – sont inépuisables ? En tant que pays riche, nous avons une responsabilité supplémentaire puisque notre mode de vie pèse sur la planète.
Ces dernières années, on a bâti chaque jour en Suisse une surface moyenne représentant un peu plus de huit terrains de football, rapportait en 2017 l’Office fédéral de la statistique dans un document officiel. Cela se fait au détriment des surfaces végétalisées. Le canton de Vaud n’échappe pas à cette frénésie. On peut bien parler densification plutôt que de mitage du territoire, mais on veut aussi toujours plus d’espaces verts en ville et les constructions massives ne suscitent pas l’adhésion de la population qui ne veulent pas sacrifier leur confort aux intérêts des promoteurs.
Notre territoire est réduit, notre espace est limité, contrairement au Canada, aux Etats-Unis ou à la Russie. La situation se dégrade et les habitants du canton nous envoient régulièrement des signaux d’alarme.
Voilà pour le fond, maintenant pour la forme :
L’échéancier mentionné dans le rapport de commission est intéressant, je cite: « le postulat sera traité en plénum à la rentrée parlementaire (sous entendu 2019), le Conseil d’État transmettra à la fin 2020 un rapport intermédiaire indiquant probablement qu’il faut attendre 2022 et le débat au Grand Conseil se tiendra en 2021, soit une année avant le traitement du prochain rapport de prospective. »
L’avancement des travaux de notre parlement étant ce qu’il est, la situation est bien plus simple : le Conseil d’Etat peut répondre à ce postulat en même temps qu’il publiera son prochain rapport de prospective 2022. Cette réponse devrait constituer une orientation politique gouvernementale claire basée sur ce fameux rapport de prospective. Il est indispensable que le Conseil d’Etat nous dise s’il a revu ses prévisions en matière démographique, s’il entend maintenir le cap ou non, pourquoi et le cas échéant, comment il va pouvoir gérer la croissance démographique souhaitée.
Lorsque nous avons traité du postulat Despot, j’avais cité nombre de projets immobiliers contestés dans tous les districts qui montrait bien que la population n’était pas prête à accepter les conséquences d’une croissance démographique.
Depuis, la situation n’a pas changé. Epalinges a tiré le frein à main face à la densification en refusant le plan de quartier du Closalet. A Lausanne, la Municipalité, sous pression, a été contrainte d’établir une zone réservée dans la campagne de Rovéréaz pour empêcher la construction de trois immeubles très contestés. A Tolochenaz, il y a eu le refus du projet SudVillage et la crise politique qui s’en est suivie. Cossonay a décrété une zone réservée au centre de son village et on peut encore citer le plan de quartier de Chise a Crissier qui a provoqué une levée de boucliers de Sauvegardons Crissier qui fait une arrivée tonitruante en remportant plus d’un quart des sièges du Conseil communal il y a quelques semaines.
On peut considérer qu’aujourd’hui la plupart des plans de construction sont l’objet d’opposition collectives de poids.
Même si nous devenions tous des citoyens exemplaires capables de vivre selon le mode « zéro déchet » et sans véhicule à moteur, nous resterions toujours des consommateurs qui participent à l’épuisement des ressources naturelles. Le débat que nous avons eu récemment au sujet de la colline du Mormont est emblématique. Nous aimerions préserver des sites naturels, mais nous avons besoin de matières premières pour la construction. La fameuse Birette, dont on parle beaucoup depuis quelques jours, doit permettre de fournir 2,8 millions de mètres cubes de calcaire pour… pour quoi, je le vous donne en mille, pour assurer la croissance démographique romande et ses infrastructures.
Si ce n’est pas le béton, c’est le bois et les ressources en la matière ne sont pas illimitées. Et comme nous sommes incapables de transformer en Suisse du bois de feuillus, nous le faisons venir de Chine ou d’ailleurs… En matière énergétique, les obstacles aussi se multiplient avec un rejet de plusieurs projets d’installations éoliennes, voire géothermiques et solaires.